L'association ouvrière française des compagnons du devoir propose des formations professionnelles en alternance et en itinérance dans le bâtiment et l'aménagement, les technologies de l'industrie, les métiers du goût et les matériaux souples. Dans un contexte où les technologies numériques sont omniprésentes, à la fois en formation et en entreprise, l'association compagnonnique de l'Ouest a pour objectif d'intégrer le numérique dans toutes ses formations et met donc en œuvre, au cours de l'année 2019-2020, un projet intitulé « La Main aux données ».

Ce projet, qui relève d'une expérimentation, donne lieu à une recherche collaborative (Morrissette, 2013) à visée coopérative (Go, 2019), entre les Compagnons du Devoir de Bretagne et le Centre de Recherche en Éducation, Apprentissages et Didactique (EA 3875). Il mobilise des acteurs de la recherche et de l'ingénierie de formation, à savoir un ingénieur pédagogique, une enseignante-chercheuse et une étudiante apprentie en master. En 2019/2020, ces derniers mènent une enquête exploratoire qui porte sur les usages des outils numériques chez les apprenants et formateurs, dans le cadre formatif, professionnel et personnel, ainsi que sur les facteurs favorisant un usage professionnel et/ou pédagogique des technologies numériques.

La coopération mise à l'œuvre pendant un an, répond à plusieurs principes : l'affirmation de la capacité de chacun à produire des savoirs et ce, dans un principe d'égalité ; le partage de valeurs communes (confiance, humilité, ouverture) ; la création et l'organisation des conditions coopératives au travail, tels l'instauration d'une collégialité des questionnements et des moments de « traduction » entre les mondes institutionnels. Cependant, l'institution coopérative du travail s'est révélée fortement fragilisée par un projet au cœur de multiples enjeux et devant répondre à des objectifs divers.

L'expérience des trois acteurs impliqués donne à voir une transformation conjointe, sur le plan individuel et professionnel mais celle-ci demeure unilatérale dans la mesure où les résultats de recherche ne sont pas entrés en résonnance avec l'activité laborieuse. Puis, l'analyse de notre expérience par la notion d'épreuve défi (Martuccelli, 2006, 2015) montre que cette épreuve articule les enjeux collectifs et l'expérience éprouvée par les personnes. L'absence de reconnaissance du travail réalisé, les temporalités de travail différentes et la prégnance du monde de la recherche dans le mode de coopération ont conduit les acteurs engagés à se questionner sur leur posture professionnelle et ont pu même engendrer de la souffrance chez eux.